vendredi 22 septembre 2017

Est-ce que c'est grave, les classes prépas ?

Ce matin, j'ai envie de me demander si c'est grave de faire les classes prépas.

Je vous propose d'y réfléchir selon mon plan classique de philo et/ou de "lettres" en terminale puis en prépas : 
  • d'un certain point de vue, plutôt oui
  • d'un autre côté, pas trop
  • finalement, et en prenant de la hauteur, on se rend compte que c'est bien plus complexe et nuancé que ça. 
Déjà, avec ce plan, vous avez un éclairage concernant les éternels débats sur les classes prépas. 

A chaque fois que quelqu'un critique, vous avez un ancien élève pour témoigner que "ce n'était pas si terrible que ça". 

A chaque fois qu'un prof en fait l'apologie ou cherche à recruter pour les classes prépas, il y a quelqu'un pour témoigner de ne "surtout pas y aller, c'est l'enfer". 

Rien qu'avec ce plan de quelques lignes, vous savez qu'il va falloir aller plus loin pour avoir des éléments de réponses.  

Je me lance. 

Les classes prépas peuvent détruire votre vie, ou au moins votre confiance en vous

J'ai témoigné à plusieurs reprises dans ce blog que les classes prépas ne sont pas bonnes pour tout le monde. Dans cet article du mois de juin au titre volontairement provocateur, je recommandais aux élèves doués de s'abstenir de faire les classes prépas : Si vous êtes doués, ne faites pas les classes prépas !

Le "pitch" de ce blog repose sur le constat que parmi 40 "premiers de la classe" qui se retrouvent en prépa, celui qui est 40e (mais pas seulement lui, les 20 derniers peuvent être concernés !) ne le vit pas forcément bien. Il le vit même parfois comme une "claque" insupportable. 

J'ai également découvert ce blog publié cette année :

http://prepasuicide.over-blog.com

Mais je ne pourrais pas me contenter de citer d'autres articles ou d'autres blog pour répondre à la question. Qu'est-ce qui fait que la prépa c'est grave ?

A mon avis, la prépa est l'aboutissement d'un système scolaire qui met en place la compétition. Sans un parcours de plus de 11 ans d'école primaire, collège et lycée mettant en valeur l'effort, le travail et les notes sanctionnant le travail des uns (et la paresse des autres, bien sûr !) il ne serait pas possible d'imaginer des jeunes de 17 à 20 ans décider souvent de leur plein gré (Freud nous dirait que le "sur-moi" du parent ou de la société est intériorisé depuis bien longtemps) de ne faire plus que travailler. 

Oh, il y a bien sûr des contre-exemples. Vous les trouverez également cité dans ce blog : ces élèves doués - et en plus conscient du danger - qui gardent leurs activités sportives, musicales ou leurs rencontres amicales malgré les classes prépas. 

Dans cette partie de ma réflexion, c'est bien ceux pour qui ça peut devenir grave qui m'intéressent. Les Gabriel de 1997. Ceux qui écoutent le dieu-prof-de-maths-prof-principal leur expliquer que le sport ne sert à rien et que c'est une perte de temps. Ceux qui mettront ensuite 2 ans à retrouver un équilibre en ayant changé de lycée et en pouvant faire du foot le samedi après le DS, faire du volley à la pause déjeuner et aller courir dans le Parc de Sceaux à chaque fois que la pression sera trop forte. 

Je pense aussi à ceux qui restent seuls. Parce qu'en prépa, on est soudain très seul dans le groupe. Chacun pour soi. Ceux qui commencent à couler coulent tout seul. C'est bien plus gratifiant de passer du temps avec ceux qui réussissent pour trouver les miettes de leur réussite que d'aider ceux qui sont en difficulté. 

Je ne parle pas de ceux qui trouvent la ressource de travailler en binôme, d'être à l'internat avec une bande de copains pour dîner et organisent des vacances "révision" chez l'un, chez l'autre ou dans un carmel qui les accueillera avec des étudiants de médecine, de droit... pour les révisions des vacances de Pâques.

Je parle de ces élèves qui rentrent chez eux après une journée dans le même lycée que l'année précédente. Pendant l'année de terminale, tout se passait plutôt bien, l'horizon du bac était un défi serein, la tension palpable consistait à savoir comment réviser au mieux pour atteindre la meilleure mention. 

Partis le matin à vélo, à pied ou en bus, ils rentrent chez eux retrouver leurs parents et leurs frères et sœurs qui ne comprennent pas ce qui leur arrive. L'environnement familial imagine mal la rupture de rythme. La tension nerveuse de 6 à 8 heures de cours passées à tenter de comprendre, tenter de suivre, faire au mieux pour tout noter, tout ce qui va beaucoup trop vite pour que ce soit confortable. 

Et quand l'élève tente de s'ouvrir à ses parents, ils se voudront rassurants. "Ne t"inquiète pas, ça va aller mon chéri". Ou pas. 

Pour certains frères ou soeurs, ce qui est en train de se passer est tout à fait perceptible. J'ai noté de nombreux "deuxième" de la famille qui choississent de ne pas faire prépa après avoir vu un frère ou une soeur aîné "galérer". 

De ce point de vue-là, les classes prépas, c'est grave. C'est grave pour ceux qui ne viennent qu'une semaine. C'est plus grave pour ceux qui s'accrochent quatre mois ou toute une année pour finalement décrocher. C'est plus grave encore pour ceux qui vont au bout, qui prennent le mur, qui recommencent et qui obtiennent ensuite des écoles pas du tout à la hauteur des attentes démesurées créées par les sacrifices faits en leur nom. 

On est presque dans le domaine du religieux dans cette dernière phrase. Ca fait partie de ce qui est grave. Dans le champ des études ou de la vie professionnelle, RIEN, à mes yeux, ne mérite de sacrifier sa vie. 

On entend souvent ce discours autour du sacrifice de 2 ans pour un avenir meilleur. J'ai vu trop d'élèves abîmés dans la durée pour penser que l'on puisse dire cela avec légèreté. Ne sacrifiez pas votre vie. N'arrêtez pas le sport. N'arrêtez pas la musique. Continuez à voir vos amis et votre famille. Restez chez vous plutôt que d'aller vivre dans une chambre seul le calvaire de l'épuisement et de la mal-bouffe au nom d'un avenir meilleur. 

A quel sportif on dirait de s'isoler, de mal manger, de peu dormir, de se mettre en difficulté voire en souffrance avant les Jeux Olympiques. Aller au delà de soi-même, oui, mais en restant au meilleur de sa forme ! Apprendre plus qu'on ne l'aurait imaginé, oui, mais pas au point de se perdre et de faire une dépression, un burn-out ou de perdre totalement confiance en soi. 

Alors pour certains, oui, faire les classes prépas c'est grave, ce qui leur arrive devient un événement traumatique qui marquera leur vie pour longtemps. Quand je parle de ce blog dans une assemblée de quelques personnes, il y en a toujours un pour réagir : 
"Ah, oui, mon frère, ma soeur, mon cousin... a fait une prépa et il a vécu ça"

Mais par ailleurs, faire les classes prépas, ce n'est pas grave

Pour beaucoup d'élèves, les classes prépas se sont heureusement pas un événement traumatique. 

Il y a ceux qui choisissent une prépa dans laquelle ils auront un niveau "moyen" et ça leur va bien. J'ai toujours une petite pensée pour Vincent quand j'écris ça, et son choix de faire Jacques Decours, à la cool...

Il y a ceux qui choisissent de ne pas faire de classe étoile et ça leur va bien. Pour cet exemple, je pense à Didier qui a passé l'année de sup à faire du basket et pour qui il n'était pas question d'aller chez les fous de MP*...

Même pour ceux qui souffrent en prépa, ça peut être vécu comme un rite initiatique. Le fameux "sacrifice" dont je parlais plus haut. Ils font cet investissement qui leur permet de faire ensuite partie de "l'élite". 

Pour un certain nombre d'élèves, être en prépa au lycée Pothier à Orléans, c'est déjà faire partie de l'élite. J'avoue que j'étais déjà dans un décalage par rapport à cette idée que je trouvais tout à fait prétentieuse (ce qui n'a pas changé de mon côté).

Finalement, pour que ce que l'on vit en prépa puisse être un problème, il faut être au minimum un peu sensible, émotif ou dans le doute. Si vous avez une confiance en vous à toute épreuve, êtes insensible aux critiques (les nuls dont le prof parle, ce sont les autres) et que vous aimez la compétition, les classes prépas sont faites pour vous. 

Pour aller plus loin, même pour un "p'tit gars comme moi", les classes prépas ce n'est pas grave. C'est un matériau pour la suite. Je peux me réconcilier avec ces années qui font désormais partie de moi et qui font de moi un coach "exceptionnel" ou "extra-ordinaire" - au sens strict de "qui sort de l'ordinaire" pour accompagner les élèves des classes prépas dans ce qu'ils vivent. 

Et en plus c'est merveilleux, parce que dans le même temps "je me répare" comme le dit Christophe André à propos des psychiatres dans "La Bande Originale" cette semaine, quand on lui demande pourquoi il a choisi d'être psychiatre.

Là, je regarde l'équilibre des deux parties de ma dissert' et je me dis que ce n'est pas très équilibré, mais je vais quand même passer à la troisième partie puisque c'est déjà ce que je suis en train d'évoquer. 

Les classes prépas, c'est bien plus compliqué que ça

Le plan sur lequel on peut imaginer que l'enjeu des classes prépas dépasse celui de savoir si c'est grave ou pas, c'est celui du développement personnel et du dépassement de soi. 

Le problème à mes yeux, c'est que ce n'est pas ce qui est évalué ni ce qui est déclaré. 

En effet, à enseignant et sujets égaux dans une classe, les résultats au DS n'ont rien à voir avec un éventuel dépassement de soi. Notre copain Jérôme est arrivé et a survolé la classe de sup du début jusqu'à la fin, sans autre mérite que d'être plus fort que nous. 

Il est resté concentré, rigoureux, consciencieux... et tout ce qu'on voudra... mais nous n'avons pas la preuve qu'à aucun moment il n'ait été dans le dépassement de lui-même. En tout cas, pas cette année-là. Peut-être l'année suivante ? 

De la même manière, et à l'autre bout du scope, un élève qui décroche et qui souffre n'est plus dans le dépassement de lui-même. Dans l'émission "Grand bien vous fasse", Olivier Houdé parle de la "zone proximale de progression". Pour certains, on en est loin et ce qu'on voudrait "idéal" pour apprendre le plus possible et le mieux possible est tout à fait manqué. 


Pour moi, une chose est sûre, les classes prépas ont été le démarrage et/ou l'aboutissement de mon incapacité à m'adapter à un "système". Elles ont été également la dernière fois, dans ma vie "professionnelle", où je me suis dit "ça vaut la peine de patienter, ce sera mieux après". 

De ce point de vue-là, elles m'ont à la fois rendu complètement inapte à supporter le travail inutile en entreprise et m'ont régulièrement fait gagner un temps précieux pour me rapprocher de ce qui pouvait avoir du sens pour moi. 

Les "bullshit" jobs dont on entend parler maintenant, je n'ai pas su - ni pu - les supporter plus que quelques semaines ou quelques mois quand j'avais vraiment besoin de revenus ou de me "prouver" une nouvelle fois quelque chose. Du coup, il faut reconnaître que la vie en entreprise ne me convient pas comme j'ai pu en témoigner ici, dans un article du début du mois que j'hésitais à supprimer parce que je le trouvais peut-être "hors sujet".

Quand j'ai voulu démissionner de mon premier job de "cadre" ou "d'ingénieur" au bout d'un mois dans le "conseil en stratégie marketing dans les assurances", le président a refusé disant que c'était trop tôt. 6 semaines plus tard il se rendait à l'évidence que "je ne serais pas heureux ici". 

Quand dix ans plus tard le président du directoire de Ponts Formation Conseil m'a recruté comme Chef de Projet formation (entendez Responsable commercial) sur les formations sur "les routes" alors que je travaillais comme coach et sur les sujets de développement personnel, développement professionnel et management d'équipe depuis déjà 5 ans... je n'ai pas "su" ou pas "pu" attendre les trois ou cinq ans qui m'auraient sans doute permis de rejoindre l'équipe en charge des formations sur le management... dans une structure avec une culture d'entreprise (anciennement) publique où le temps peut être long, voire très long... J'ai tenu trois mois avant de chercher autre chose. 

Bon, il faut dire qu'il y avait également une culture de pression et de harcèlement du président sur les directrices et des directrices sur les collègues qui m'a semblé insupportable, à moi, éponge émotionnelle de ce qui se passe autour... 
A ce titre, les directrices et comme le président du directoire se sont fait débarquer de l'entreprise dans les six mois qui ont suivi. 
Est-ce que sans l'expérience des classes prépas, j'aurais pris "mon mal en patience" pour garder le poste et attendre que ça s'améliore autour ?
Je n'ai plus aucune "patience". Je pars du principe que si ça ne va pas aujourd'hui, ça n'ira pas non plus demain et qu'il est déjà temps de faire quelque chose pour que ça change !

Conclusion - Ne pas rester seul à souffrir


J'arrive ici à la conclusion à laquelle je ne m'attendais pas mais qui prend tout son sens : le plus important est peut-être de ne pas rester à souffrir seul dans une situation, quelle qu'elle soit. 

Je me suis posé la question, il y a quelques années, pour savoir si faire appel à une psychologue, ce n'était pas prendre le risque de faire durer une situation qui ne nous convient pas plus longtemps, parce qu'on y est aidé. 

Ce qui me vient aujourd'hui, c'est peut-être que la psychologue permet de retrouver des forces, de retrouver ses moyens, soit de poursuivre dans ce qu'on a entrepris, parce qu'on fait le choix d'aller au bout, soit d'avoir l'énergie nécessaire pour changer les choses. 

De la même manière, on me demande souvent si j'aide les élèves à arrêter les classes prépas. La plupart du temps, vous n'avez pas besoin de moi pour arrêter les classes prépas. Vous arrêtez et puis "c'est tout". Ceux qui font appel à un coach, c'est le plus souvent pour trouver des solutions pour continuer et pour réussir. 

Parfois, tout de même, en posant les choses, en réfléchissant à tête reposée, en prenant du recul, ça devient une évidence que vous voulez faire autre chose. L'un choisit de rentrer chez lui et de faire les études qu'il n'osait pas. L'autre entre en école d'ingénieur à prépa intégrée en février ou à Pâques parce qu'après 15 jours de vacances où il pensait se remettre en selle, il rend "copie blanche" au DS de physique...

La vie est plus forte que nous.
La vie en nous, est plus forte que les classes prépas ou que l'entreprise.

Si vous avez un doute, vous pouvez lire ou relire Le prophète de Khalil Gibran, le Petit Sauvage, d'Alexandre Jardin, ou votre collection de Lucky Luke ;-)


 






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